Le cadavre d'une mère resurgit, suspense de Mélanie Valier...
Les grandes expéditions en haute montagne se suffisent généralement à elles-mêmes. Nul besoin d’inventer des personnages héroïques ou des intrigues compliquées quand la réalité vous offre sur un plateau glacé son lot de drames et de tragédies. Interrogations shakespeariennes, choix cornéliens, destins dignes d’une tragédie racinienne… Quel auteur ou scénariste aurait osé écrire l’histoire d’un Walter Bonatti abandonné par ses compagnons et condamné à un bivouac sans tente ni duvet à plus de 8 100 mètres d’altitude lors de la première ascension du K2 en 1954 ? Ou celle de Joe Simpson, laissé pour mort au fond d’une crevasse dans les Andes et rampant pendant des jours avec une jambe fracturée jusqu’au camp de base (la Mort suspendue, 1988) ? Ou enfin l’incroyable série d’erreurs et de malchances qui s’abattirent sur les cordées américaines tentant l’Everest au printemps 1996, laissant après une nuit de tempête huit corps gelés sur la montagne dans un finale à la Hamlet (Into the Thin Air, de Jon Krakauer) ?
Survivre ou ne pas survivre… La haute montagne dévoreuse d’hommes nous a habitués à ces héros bien réels. Aussi lorsqu’avec Reprends ton souffle, second roman de Mélanie Valier, on trouve des personnages et une histoire digne des grandes sagas de l’alpinisme, on ne peut que se laisser happer par une intrigue qui emmène la narratrice et son conjoint sur les pentes de la «montagne des montagnes», le terrifiant K2, second sommet en hauteur, mais sans doute le plus difficile du monde.
Emma est sociologue et vit avec Mathieu, jeune alpiniste talentueux, lui-même fils d’un des pionniers de l’himalayisme, légende vivante de Chamonix. La mère de Mathieu est morte quand il avait 8 ans sur les pentes du Manaslu, tombée dans une crevasse selon son père qui était à ses côtés. Or voilà que le cadavre vient d’être retrouvé à flanc de montagne. Trop bien conservé pour avoir séjourné si longtemps dans un glacier… Le père de Mathieu aurait-il menti ? Le mystère sera-t-il résolu lors de l’expédition que prépare le couple au K2 en présence d’un vieil alpiniste, ami des parents de Mathieu ? Et qui rode autour des tentes du camp de base à la nuit tombée ?
Conçu comme un polar, Reprends ton souffle est l’œuvre d’une passionnée de montagne, fille de Chamonix, qui avec malice mêle tout au long du roman fiction et réalité. A côté de ses héros de papier, nombre de personnages bien réels (comme Yann Giezendanner, routeur montagne de Météo France ou Elizabeth Hawley, archiviste basée à Katmandou ) tandis que le père de Mathieu et ses mensonges évoquent les zones d’ombre d’un Maurice Herzog, vainqueur controversé de l’Annapurna. Ultimes clins d’œil, les héros se plaisent à citer récits, films et figures de l’alpinisme, nous laissant à la fin du livre bien incapable de démêler cette ascension mouvementée d’autres expéditions. Seul bémol à ce roman réussi : sans doute emportée par l’escalade du plaisir, l’auteure a cru nécessaire d’illustrer les sentiments profonds de son couple par quelques scènes de sexe cru qui ne dépareilleraient un vieux SAS. Une façon de conjuguer le verbe grimper qui, à notre avis, ne s’imposait pas.